Interview Vehicle Dynamics Designer - Naomi Heinis

Comment définirais-tu le métier de Vehicle Dynamics Designer chez KT ? peux-tu nous préciser ton rôle au sein de Kylotonn ?

En résumé, je règle les paramètres de la simulation pour répondre aux différents besoins que l’on peut avoir. Cela peut être du réalisme, de l’accessibilité, ou encore respecter une vision créative particulière. Le but est de transformer les intentions en voitures. Je suis ingénieure de course sur des voitures virtuelles !

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

J’ai fait math sup / math spé (ndlr : classes préparatoires aux concours des grandes écoles d’ingénieurs) pour passer les concours pour aller en école d’ingénieur. À l’origine, je voulais faire de l’électronique pour les consoliers, mais à la place d’aller en école d’ingénieur, j’ai finalement décidé, un peu sur un coup de tête, de faire du jeu vidéo. Du coup, je suis partie faire du Game Design en ne sachant pas trop ce que ça impliquait. Finalement, c’est plutôt bien puisque mon métier actuel est à l’intersection de ce que j’ai pu faire en ingénierie et en game design. C’est vraiment un métier qui correspond à mon parcours. 

Que préfères-tu dans ton métier ?

C’est compliqué de choisir une chose ! J’aime plusieurs aspects du métier. La physique de manière générale déjà : j’adore créer des modèles, c’est toujours cool d’essayer de représenter des phénomènes. Dans les jeux vidéo, nous avons une contrainte, qui est : “il faut que ça tourne au moins X fois par seconde”. C’est une contrainte qu’on ne retrouve pas dans la simulation scientifique par exemple. Il faut que le modèle soit rapide, réaliste, mais aussi fun et jouable. Je me retrouve souvent avec une interprétation de la réalité par notre programmeur dyna, (ndlr : Un programmeur dyna est un programmeur chargé de comprendre les actions et conséquences de la physique réelle sur un véhicule et de les reproduire aussi précisément que possible dans un programme, ici un jeu vidéo) avec des valeurs ou des approches quelque peu différentes de ce à quoi on pourrait s’attendre. C’est toujours un plaisir de faire des modèles avec ces contraintes-là, ça crée du challenge ! On a aussi d’autres obstacles, comme par exemple le fait de rendre tout ça possible et fonctionnel sur l’ensemble du roster de TDUSC. Professionnellement parlant, c’est très satisfaisant de trouver une solution qui rentre dans plusieurs cases : ce qu’on peut faire dans la prod, et ce qui améliore l’expérience de jeu globale etc.
Mais sinon de manière plus personnelle, la partie que je préfère dans mon métier c’est aussi mes collègues qui sont des personnes formidables, et ça fait toujours très plaisir de partager des moments ensemble.

 

Raconte-nous ta journée type

Ma journée commence toujours par un daily (nldr: courte réunion ayant lieu tous les matins), de durée très variable en fonction des problèmes à résoudre (rire). Je participe seulement au daily Game designer de TDUSC puisque je suis rattachée à ce pôle là.

“Pardon de te couper, mais pourquoi es-tu rattaché au pôle game design ?”

C’est important parce que les visions du Lead Game Designer et du Creative Director ont besoin de me parvenir, et en toute logique, et c’est le chemin le plus direct. Il faut que le comportement des véhicules corresponde aux intentions de game design.

Après ce daily, je commence ma journée. La “journée type” que j’aime le plus commence par un test du jeu. Je regarde quels problèmes il peut y avoir, comment je peux essayer de les résoudre. Je réfléchis à un modèle qui peut solutionner tel ou tel problème, tout en réfléchissant aux contraintes de la production qui pourraient émerger si on venait à implémenter ce modèle là. Ensuite, je fais une passe de préréglage du modèle, je teste un peu tout pour voir si ça fonctionne. Et si j’ai de la chance, d’ici la fin de la journée, j’ai pu peut être améliorer une feature sur l’ensemble des voitures ! 

Les qualités que tu estimes indispensables pour ton métier ?

Je trouve que mon métier fait partie de 3 sous-ensembles de métiers: déjà, l’ensemble des Vehicle Dynamics Designer, qui fait partie de l’ensemble des Game Designers, qui fait lui-même partie de l’ensemble des développeurs de jeux vidéo. Chaque ensemble nécessite certaines compétences. Pour les Vehicle Dynamics Designers, c’est vraiment important de savoir comment fonctionnent les maths, la physique etc…Il y a énormément de recherche à l’instinct, mais la partie pour appliquer tout cela à l’échelle d’un jeu et à l’échelle du roster, on a besoin des maths. C’est ce qui va nous donner un résultat consistant et exploitable sur l’ensemble du jeu.

En tant que Game Designer, il faut savoir se détacher du stéréotype de “la personne qui a des idées”. Tout le monde sait avoir des idées. Pour moi un bon GD c’est quelqu’un qui manipule les idées, que ce soit celle des autres ou les siennes, pour en faire quelque chose de cohérent. On a beaucoup de contraintes à respecter, il faut que ça marche bien avec l’ensemble des autres mécaniques, il faut que ce soit fluide, que ce soit accessible…Donc pour moi, il faut savoir faire autre chose qu’avoir des idées, peu importe son domaine de compétence, et avoir un regard critique sur son propre travail. Tout le travail des GD a des répercussions en amont et en aval dans le processus de création. Il faut connaître les tenants et les aboutissants de ce qu’on souhaite ajouter dans la machine. Je pense que c’est important de ne pas avoir peur de communiquer avec les autres corps de métier et absorber leur lexique afin de pouvoir fluidifier la communication.

 

Pour finir, au niveau des développeuses et développeurs de jeux vidéo, je dirais que l’important est de ne pas abandonner les jeux au discours dominant. Il est déjà surreprésenté car il est vu comme nécessaire à la survie de l’industrie.

Ca fait très chaud au coeur de voir qu’il y a chaque jour plus de jeux portant des voix queer, anticapitalistes, non blanches, féministes, etc. J’espère que cela va continuer pour les studios et personnes qui ont des choses à dire. J’espère aussi que les développeurs et développeuses qui travaillent sur des jeux qui embrassent le discours dominant trouveront la force d’y glisser des critiques.

Quel est le projet sur lequel tu as préféré travailler ?

Le projet sur lequel j’ai préféré travailler, je pense que c’était un projet que j’ai fait quand j’étais étudiante. C’était un projet en VR, ou on jouait une personne qui… avait la flemme. Elle passait la journée assise à côté d’une table, mais elle devait accomplir sa to do list de la journée avec des gadgets ridicules. Par exemple, une pince télescopique pour attraper des trucs sur les étagères et arriver à nourrir le chat, un pistolet qui pouvait péter l’ampoule pour éteindre la lumière à la fin de la  journée… C’était un jeu ni polished, ni vraiment bien fait, mais il avait été si bien géré au niveau de sa production qu’on a pu intégrer l’intégralité des blagues et des mécaniques qu’on souhaitait mettre dans le jeu à l’origine; ça donnait un ensemble super cohérent et super drôle, et c’est la première fois que j’ai vu des gens avoir des vraies exclamations de rire en jouant à un jeu sur lequel j’avais travaillé, et c’était formidable. C’est un peu ce que je cherche depuis, procurer des émotions avec ce que je produis. 

Comment on gère la dynamique des différents véhicules ? À quel point on entre dans le détail selon les différents types de véhicules ?

Nous utilisons le même moteur que WRC, et sur les WRC nous avions besoin de physique vraiment fidèle à la réalité. On a vraiment une bonne gestion de beaucoup de paramètres, ce qui nous permet d’avoir un nombre important de réglages de toutes les parties essentielles des voitures : La courbe de couple du moteur, l’hybridation sur un ou plusieurs trains, les force dégagée par les pneus ou leur dureté…On a vraiment une simulation des différents éléments de la voiture, du moteur à l’ABS en passant par le différentiel et l’inertie du châssis…Cela nous permet d’adapter vraiment la conduite selon le type de véhicule et les sensations recherchées. Ensuite, on a aussi d’autres variables qui résultent de la simulation, par exemple, la vitesse de rotation des roues ou comment elles glissent sur le sol; et toutes ces valeurs-là sont ensuite envoyées à d’autres corps de métier. Par exemple, les équipes son vont avoir besoin de la variable “le moteur reçoit telle charge en ce moment, donc on envoie tel genre de son”. L’équipe UI va avoir besoin de “On tourne à tant de tours par minute, donc on doit l’afficher sur le dashboard de la voiture de telle ou telle manière”. C’est un peu une “boîte noire” d’un point de vue extérieur, où je suis (quasi) seule dans la boite, mais tous les autres corps de métier vont avoir besoin des informations qui en sortent.

 

Du coup pour gérer tout ça c’est un peu le serpent qui se mord la queue vu que toutes les variables interagissent entre elles, mais en fixant certains points plus simples par moment on arrive à creuser les points les plus complexes.

Le mot de la fin ?

J’ai plein de trucs à dire “en vrac”. Par exemple, les gens doivent se dire que j’adore les voitures…et c’est vrai ! J’adore les voitures. Mais  ”Fuck cars”! (Ndlr : Slogan du mouvement éponyme regroupant plus de 380K personnes, contre le design urbain centré sur les voitures, qui tente de proposer des solutions alternatives. Détails ici : /r/Fuckcars) Mettez des trains et des transports en commun !
Plus sérieusement, l’automobile en elle-même, en tant que sport, en tant qu’ingénierie c’est quelque chose de formidable, et je suis la première personne à être intéressée par ça. C’est même un des liens principaux que j’ai avec mon petit frère qui est mécanicien, c’est une passion qu’on partage et c’est quelque chose qui m’est vraiment cher. Mais je pense qu’on ne peut pas apprécier réellement l’automobile et le sport automobile si on ne se rend pas compte du désastre écologique qu’est l’utilisation quotidienne de la voiture. Je ne parle pas des gens qui n’ont pas le choix, qui doivent utiliser leur voiture pour aller au travail etc. Je parle de penser à l’échelle politique globale à l’utilisation de la voiture comme moyen de transport de masse, qu’on peut utiliser comme bon nous semble, et qui va retirer le besoin de construire des transports en commun. Alors qu’on en a besoin ! Pour moi, la voiture ça doit être un hobby. J’adorerais faire des tours en Miata sur circuit le weekend et pouvoir prendre le train pour aller au travail la semaine. Et j’aimerai que ce hobby soit pérenne, et que les gens qui souhaitent arracher l’asphalte puissent continuer de le faire. C’est pour cela que cela me tient à cœur de soutenir la démarche “Fuck car”.

Et sinon, le vrai mot de la fin : Bombarde.

28 février 2023