Interview Level Designer - Laure Gilli

Comment définirais-tu le métier de Level Designer chez KT ? Peux-tu nous préciser ton rôle au sein de Kylotonn ?

En tant que Level designer sur du racing, et plus précisément chez Kylotonn, mon rôle est de designer les zones sur lesquelles le joueur va être amené à conduire, progresser, etc. On va donc tracer le circuit, la route ou la zone…et tout ce qui va avoir un impact sur le gameplay. Par exemple, nous avons une influence déterminante sur tout ce qui se trouve autour des routes : rochers, végétation, ou autre. Nous posons la route, et les graphistes vont venir l’habiller ensuite. Nous faisons des “aller-retours” constants avec les graphistes.
En tant qu’Associate Lead,  je passe également pas mal de temps à aider mon équipe, faire du support, review  (ndlr: Revoir, réexaminer, examiner pour vérifier la qualité et donner des conseils) leur travail, etc.

 

L’objectif premier d’un LD c’est d’emmener le joueur dans un état de “flow” (tu sais, c’est cet état où tu lances un jeu, tu commences à telle heure, tu regardes ta montre en te disant “ça va, j’ai joué que 20 minutes !” et en fait tu as joué 3 heures sans t’en rendre compte) : c’est à dire que le niveau ne doit être ni trop facile car sinon il va s’ennuyer, ni trop difficile pour éviter de créer de la frustration, qui est le pire sentiment qu’un joueur peut ressentir pour nous.

Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Depuis que je suis toute petite je voulais être…vétérinaire ! Mais j’ai un mauvais niveau en maths. Depuis le lycée, je mod sur Counter Strike, je créais des maps. Et quand j’ai découvert que c’était un métier, je me suis dis “vu que je peux pas faire ma première passion et bien je vais faire ma deuxième” !
Au début, mes parents n’étaient pas tout à fait d’accord, ils ne pensaient pas que c’était un “vrai métier”. Donc on a passé un accord, j’ai dû d’abord faire un BTS en informatique pour avoir un “vrai diplôme” et les rassurer. Après ça, j’ai été prise à l’IIM à la Défense (NDLR : près de Paris), où je me suis spécialisée en Game design. En 4ème année, je suis partie à Dublin pour développer  mes compétences en Narration et en programmation orienté objet, car c’est très important pour un designer de comprendre ce que font les dev. Et finalement, j’ai fait mon stage de fin d’études, où je suis passée de stagiaire level designer à Associate Lead en 2 ans! 

Peux-tu nous expliquer comment les niveaux sont créés ? Ou dans ton cas, comment on crée une partie de map plutôt ?

On commence toujours par prendre un nombre colossal de références, jusqu’à connaître le lieu par cœur. Ensuite on prend les données satellites de l’endroit, on retrace les routes, et en fonction de ce qu’on veut faire, on va soit en modifier, soit en ajouter, soit en supprimer. Et puis ensuite, on trace les routes, et on habille avec les graphistes. On travaille par région de production, et un LD va être en charge d’une région.

Je peux prendre un exemple concret, avec le réseau routier de Hong Kong Island : dans la vraie vie, Hong Kong Island c’est une ville ultra dense en termes de réseau routier. Ça n’aurait pas trop de sens de le prendre tel-quel. Notre rôle principal en tant que LD c’est donc de retravailler le réseau routier, pour qu’il soit fun et intéressant, mais que le joueur lorsqu’il roule dessus se dise “ah ouai je suis à Hong Kong!”. On ne cherche pas à faire un “copié-collé” de Hong Kong Island, mais on ne veut pas dénaturer l’île.  On a passé, et on passe toujours beaucoup de temps sur Google Map. il y a des zones de Hong Kong Island que je connais par coeur, si un jour j’y vais je saurai me retrouver sans cartes et sans téléphone (rires) !

 

On fait également les intérieurs des bâtiments. On appelle ça “blocking” ou “blockout”. On représente un intérieur avec ce qu’on appelle des “primitives”, mais en gros, c’est des cubes. En résumé, on fait l’architecture de la pièce avec des gros cubes gris aux bonnes proportions. Par exemple, on va poser des cubes pour signifier un meuble (pour bloquer le passage du joueur par exemple). Ensuite, on envoie ça aux graphistes qui s’occupent de rendre ça joli. Peu importe si les graphistes remplacent notre cube par un bureau ou un bac de plantes, du moment que l’objet est égal aux propositions que nous avons posées.

En résumé, ce qu’on peut retenir, c’est que tout ce qu’on fait, c’est moche, mais c’est fonctionnel (rire).Et c’est aux graphistes de rendre ça joli, on travaille en collaboration constante avec eux.

 

Que préfères-tu dans ton métier ?

Et bien…Mon équipe ! L’équipe LD et TDU est juste ouf. Tous les matins quand je sais que je vais voir mes collègues je suis trop contente de passer la journée avec eux et c’est trop bien, on est super soudé.
En terme de LD sinon, c’est vraiment le côté “touche à tout” car on a un impact sur énormément de point de la prod. J’ai parlé des routes et du blocking, mais j’ai aussi fait de l’IA,  des tracés de courses, etc…Et c’est ça aussi que j’adore, ce juste milieu entre le métier tech et le métier artistique. J’adore avoir les mains dans le cambouis et je déteste la documentation, donc c’est un super équilibre.

Raconte-nous ta journée type

La journée commence toujours par un premier daily (ndlr: courte réunion ayant lieu tous les matins) entre LD et Graphiste, où l’on parle de ce qu’on a fait la veille et ce qu’on va faire dans la journée, et on expose les problématiques s’il y en a. Ensuite, j’ai un deuxième daily avec les développeurs IA cette fois, pour la même raison. Et ensuite… Je me mets à travailler ! Je travaille donc sur ma tâche en cours, et depuis que je suis passée Associate Lead, je passe beaucoup de temps à faire des reviews du travail de mon équipe et je les aide sur les problèmes qu’ils peuvent rencontrer. J’ai aussi beaucoup de réunions, et j’avance sur mes tâches lorsque j’ai des trous dans mon emploi du temps. 

Les qualités que tu estimes indispensables pour ton métier ?

Tout d’abord, savoir être très très pragmatique. Il faut savoir être critique sur son travail et celui des autres, et ne pas mal prendre les critiques en sachant se remettre en question. Il faut aussi de la curiosité, savoir s’intéresser à ce qui ce passe chez les autres. Il y a toujours un jeu qui va révolutionner à petite ou grande échelle, il faut toujours regarder partout.
Ne pas se reposer sur ses acquis et savoir travailler en équipe c’est important également. Il faut savoir communiquer avec les autres, et ne pas avoir peur de faire des erreurs. Tout le monde fait des erreurs, c’est normal et il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide autour de soi. 

Quel est le projet sur lequel tu as préféré travailler ?

TDU ça reste un projet ultra intéressant, c’est un open world gigantesque et c’est génial de façonner un monde de A à Z. C’est un peu le bébé de toute l’équipe et c’est un jeu très important pour moi.
Sinon, mon projet étudiant, qui s’appelle Elypse. C’est un platformer metroidvania assez exigeant. L’équipe était vraiment super, et ils ont continué le projet ! D’ailleurs le jeu sort cette année, donc mes deux premiers jeux sortent cette année et je suis super fière de voir ce que le jeu est devenu et le travail accompli. (ndlr : Vous pouvez visionner le trailer ici !)

Le mot de la fin ?

Il faut plus de femmes dans nos métiers. Je pense qu’il y a un réel problème dans l’industrie du jeu vidéo. Oui, ça évolue, mais ça reste problématique. On a toujours des problèmes y compris au sein des écoles, et il faut savoir se remettre en question. On est en 2023, la vie change, il faut savoir s’adapter. Les femmes ne sont pas là, parce qu’il y a un réel problème sous-jacent, et pas par manque de volonté. Le seul moyen d’améliorer ça, c’est l’éducation, c’est qu’il y ait plus de femmes, c’est qu’on en parle, et c’est important.
En résumé, venez les filles !

 

Et sinon le vrai mot de la fin : chèvre (mon équipe comprendras)

11 avril 2023